vendredi 1 août 2008

Alexandre

Le film historique antique semble souffrir depuis toujours d’une étiquette dont il peine à se défaire, celle d’un genre éternellement mineur narrant d’aimables et académiques aventures épiques pour un public familial à la morale irréprochable. Victime de la nécessité d’un budget imposant qui le rend synonyme de risque financier majeur, et d’une sale habitude qui l’a vu par le passé au service d’une pesante propagande religieuse, le genre antique au cinéma se situe souvent quelque part entre le conte de fée et le western révisionniste. Renaissant de ses cendres par la grâce de l’excellent Gladiator, il était permis de penser que quelques décennies après sa disparition le genre - et le public - pourrait enfin muer vers un cinéma adulte et plus exigeant. Oliver Stone releva le défi avec cet ambitieux projet de longue date relatant sa vision d’Alexandre Le Grand, personnage colossal mais finalement assez peu connu.

Sous ses allures de luxueuse superproduction assumée, Alexandre se veut donc aussi un authentique film d'auteur audacieux, complément idéal et rigoureux du film de Ridley Scott et du très agréable - mais déjà à nouveau aseptisé - Troie. On peut naturellement souscrire ou non aux postulats pourtant nuancés d’Oliver Stone à propos du personnage et son action, mais par là même l'auteur permet au genre de sortir enfin de l’ornière du simple divertissement familial comme tentèrent de le faire jadis Kubrick avec son Spartacus ou même Mankiewicz et son Cléopâtre. A noter que ces deux réalisateurs, ambitionnant déjà d’apporter une dimension plus nuancée, mure et complexe au genre, désavouèrent leurs films respectifs pour cause de "reprise en main" de la part des producteurs désireux d'entretenir les poncifs.

C’est donc avec l’idée de préserver son scénario de la pression bien pensante des majors américaines qu’un Oliver Stone méfiant prit soin de produire le film en Europe. On ne peut dès lors que déplorer la navrante similitude de réaction des deux côtés de l’atlantique où la sortie du film fut l’objet d’une incroyable campagne de dénigrement méprisant. Où comment ressembler à nos têtes de turc favorites quand il s’agit d’ouverture d’esprit. Un bon film antique ? Des gros muscles, de la frappe et des héros irréprochables au secours de leur belle. Qu’il prétende s'adresser à d'autres parties du cerveau en étant un peu plus original et personnel jusqu'à être légèrement subversif côté zizi sexuel, et là boum ! c’est le choc. Car si Oliver Stone dut s’expatrier, ce n’est évidemment pas à cause de la violence des combats ou la longueur du film mais bien en raison d’un des derniers grands tabous du cinéma de masse.

En effet, s’il n’est pas vraiment question ici de parler en détail de l’intrigue ou de la mise en scène, c’est que l’axe principal d’attaque à l’encontre du film dépasse souvent le cadre cinématographique pour toucher par son rejet épidermique et moqueur un registre sans doute plus sociétal loin d'être anodin. A quoi se résume la "critique" ? Faites le test autour de vous : dans l'immense majorité des cas le propos se focalisera sur l'aspect sexuel du personnage avec sous-entendus graveleux et allusions féminisées à l'appui*.
On peut donc se demander si le ton de la dérision si souvent utilisé pour décrire le film et son personnage principal ne trouve pas sa véritable origine dans cette vieille habitude culturelle de zapper toute sexualité "hors norme" dès lors qu’il s’agit d’un personnage historique mâle à connotation positive. A fortiori dans cette vision d’Alexandre Le Grand, icône ultime du guerrier et du stratège "civilisateur" : ici lié intimement à son plus proche lieutenant durant toute sa vie, il semble désorienter bien des esprits étroits. Comme si ce type d'évocation n’était acceptable que dans le cadre d’une décadence romaine de pacotille ou toute autre situation supposée négative voire dégradante. Caligula oui, Alexandre Le Grand non.

Confronté d’ailleurs au même "problème", le film Troie avait pris soin de transformer Patrocle en cousin d'Achille, évitant ainsi la collision frontale entre un personnage archétypique d'une virilité glorieuse et une certaine vision de l’homosexualité qui n’est perçue par le chaste public que comme décadente et dénuée de passion ou de sentiment. A l'inverse, que le très cruel et lâche Xerxès de 300 soit si lourdement connoté sexuellement ne dérange personne, bien au contraire. Une cohérence tristement révélatrice.

Oliver Stone aggrave encore son cas en traitant ouvertement le sujet dans le cadre d’une vaste production non pas destinée à un public ciblé mais au plus grand nombre en misant sur son intelligence. Il commet là un double sacrilège pour ceux qui n’y voyaient que la promesse d’une joyeuse chevauchée pétaradante et formatée.

Dès lors, peu importe qu’Angelina Jolie trouve enfin ici un rôle à sa mesure, que Val Kilmer impressionne dans un registre inattendu, que les batailles soient si formidablement mises en images ou que les tourments de personnages aux destinées exceptionnelles soient abordés avec une telle intensité et une approche résolument humaine. Tout cela semble étrangement secondaire voire sans valeur face à une volonté non pas de critiquer légitimement un film loin d’être sans défauts, mais bien de le ridiculiser.

Mais c’est peut-être aussi à cela que l’on reconnaît un film important : à sa capacité d’avoir un peu trop d’avance sur son époque en prenant à rebrousse-poil ses vieux réflexes conservateurs fossilisés. Malheureusement, son échec critique et commercial retentissant risque de conforter pour longtemps encore les producteurs dans leur complaisance à flatter le public, comme en témoigne le triomphe du très lourdingue et douteux 300. Nous ne verrons sans doute pas avant longtemps un film du type d’Alexandre tenir le haut du box office en conciliant ainsi le spectacle et l’audace d’un auteur qui entend s’adresser à tous en misant sur la maturité et l’ouverture d’esprit. En un mot, marier le fond et la forme. Personne ou presque ne semble avoir vu ou voulu voir cela, préférant souvent résumer 2h45 de film à la couleur de cheveux de l'acteur.


*A noter que ce petit jeu fonctionne aussi assez bien avec les 2 Batman de Joel Schumacher . C'est d'autant plus surprenant dans ce cas que leur réputation "queer" ne tient qu'à des rumeurs et quelques interprétations assez fumeuses.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Entièrement d'accord avec ta vision du film. S'il est loin d'être parfait (il ya quelques "bourdes" côté mise en scène et certains choix esthétiques sont parfois trop décalés) ce film mérite beaucoup mieux que la curée dont il a fait l'objet à sa sortie...Et pourtant je n'aime pas beaucoup le cinéma d'Oliver Stone.

RobbyMovies a dit…

Bien sûr qu'il n'est pas parfait. Mais le problème c'est que justement on ne parle pas ou presque de ses défauts comme pour n'importe quel autre film.
Sinon pareil pour Oliver Stone, mais j'avais vraiment aimé Né un 4 juillet, un peu pour les mêmes raisons d'ailleurs. En revanche la période Tueurs Nés argl.
Nixon aussi est très intéressant. Film très étrange cela dit.
En tous cas ça fait plaisir de constater qu'au fil du temps il y a des voix pour défendre le film. Peut-être qu'il lui faudra 20 ans pour être reconnu...

Anonyme a dit…

Coucou c'est encore moi ;-)
(après j'arrête c'est promis)
Moi j'avais beaucoup aimé NBK qui reste - à mon humble avis - ce qu'Oliver Stone a fait de plus intéressant, et si j'en crois ce qu'il raconte, de plus personnel.
Alors cette histoire totalement saugrenue d'Alexandre, qui semble tout sauf grec mais purement hollywoodien et kitschissime m'a totalement déçue et ennuyée...
Même la question de l'homosexualité (sur laquelle tu insistes beaucoup si j'ai bien compris) est catastrophiquement mal traitée, dans le contexte pourtant si particulier des moeurs grècques. Bref j'ai trouvé que c'était du XXème siècle en costume peplum, rien de plus.
Bisous,
Pénélope.